Underground vs DST (l'effet Larsen)


Le 20 juillet 2001, madchat.org, héraut de l'underground informatique francophone, titre : "Larsen busté par la DST". Dans le jargon des hackers, est "busté" celui qui est arrêté. Et s'il arrive, de temps en temps, qu'un "pirate informatique" soit effectivement arrêté par des policiers, c'est la première fois, en France, qu'un hacker annonce publiquement avoir été interpellé par la Direction de la Surveillance du Territoire, le service de contre-espionnage français. Ce n'est pas faute, pourtant, d'avoir surveillé l'"underground informatique", du nom que l'on donne généralement en France à la communauté des hackers, ni d'avoir entretenu des rapports plus ou moins trouble avec certains d'entre-eux. Ou comment l'undergound informatique n'a jamais vraiment pu se développer en France.

Larsen, de son vrai nom Vincent Plousey, 29 ans, est technicien de maintenance en téléphonie. S'il a finalement décidé de révéler son identité, c'est parce que Le Monde du Renseignement, une publication proche des services français, l'a révélé dans ses colonnes à l'occasion de son arrestation. Né d'une mère infirmière d'origine italienne, et d'un père responsable cantonnier dans une municipalité de la banlieue parisienne, Vincent ne supporte pas l'école, qu'il quittera d'ailleurs à l'âge de 12 ans : "ça me faisait chier, j'arrivais pas à suivre, j'étais déjà contestataire". Vincent est alors placé pour cinq ans en internat (non-mixte) dans un Institut médico-pédagogique professionnel initialement conçu pour les enfants victimes de troubles psy ou familiaux. A l'âge où d'aucuns entrent au collège, il porte déjà le bleu de travail, et des chaussures sécurisées. Vincent n'a guère le choix : il sera jardinier. A 15 ans, il perd son père et emménage dans une cité.

Son père, il n'en parle guère, sinon pour dire qu'il avait acheté un MSX, l'un des tous premiers PC disponibles en France. Un fiasco commercial d'ailleurs, au temps où l'éducation national dotait les écoliers les plus fortunés de TO7 et autres MO5. Mais ce qui donne vraiment envie à Vincent de découvrir l'informatique, c'est un article de Science et Vie Junior sur un des premiers congrès du Hacktic, l'un des principaux groupes de hackers hollandais. A défaut de pouvoir s'acheter un vrai PC, Vincent, qui venait aussi de découvrir la Cibi, décide d'aller à CIA-KGB (sic), un magasin spécialisé dans le matériel d'espionnage. A 18 ans à peine, il y fait l'acquisition d'un récepteur radio, le premier d'une longue série, capable d'écouter les télécommunications des radioamateurs, taxis, ambulanciers, pompiers, pilotes d'avion, mais aussi celles des premiers téléphones portables, et même de la police. Si l'écoute est interdite, le matériel est, lui, en vente libre, et Vincent est d'un naturel curieux.

C'est ainsi que, passionné par les armes à feu, mais ne pouvant se permettre de se payer des cours de parachutisme, il décide aussi de devancer l'appel. Reconnu apte au brevet de parachutiste, il fait une prépa militaire, se retrouve au 1er régiment de hussards parachutistes de Tarbes, duquel il est réformé 3 mois plus tard suite à une mauvaise blessure. Mais sans regret : Vincent s'attendait à de l'action, à intégrer un régiment commando, à faire du renseignement, apprendre le camouflage, mais "c'était surtout des trucs de trouffion"... Il en a néanmoins gardé la passion des armes, dont il possède d'ailleurs plusieurs exemplaires que la DST, au moment de l'arrêter, aura la décence de lui laisser : elles sont neutralisées.

En 1994, la déferlante du Web commence à peine mais des amis radioamateurs lui disent qu'on y trouve les fréquences utilisées par l'armée US, entre autres. Malgré son maigre salaire d'ouvrier paysagiste, Vincent décide de se connecter au Net. Il y trouve rapidement le site du 2600, le groupe de hackers cultes US, ainsi que Phrack, l'e-zine de référence en matière de hacking, avant que de découvrir NPC, l'un des tous premiers groupes francophones (des québécois), Darcelf et puis noway, le célèbre zine créé par Neuralien, pionnier de la scène française. "Ca m'a donné envie de faire de la "bidouille" (la traduction originelle de hacking -NDLR), c'était plus par curiosité que pour contester. J'ai cherché à rencontrer des hackers, je ne voulais pas tant le devenir que savoir comment ça fonctionnait".

En septembre 1996, Vincent assiste à son premier "meeting 2600", du nom donné à ces rencontres plus ou moins informelles de hackers organisées tous les premiers vendredis du mois un peu partout dans le monde, et place d'Italie à Paris. Vincent est emballé et découvre l'IRC, ces canaux de discussion en direct, qui servent de lieux de rendez-vous, d'initiation sinon de recrutement. De fil en aiguille, on lui propose de collaborer à noroute, un ezine qui rassemble la fine fleur de la jeune génération de hackers français. C'est d'ailleurs avec eux qu'il participera à la création d'un des groupes les plus réputés dans les milieux autorisés, bien que quasi-inconnu du grand public, et que l'on nommera pudiquement "Association de malfaiteurs", quand bien même il n'ait jamais eu pour vocation de commettre de méfaits.

Parallèlement, il lance HVU, son propre mag', "le 1er zine radio underground en français", avant de créer le CRCF (Chaos Radio Club de France), pied de nez au CCCF, le Chaos Computer Club de France. Ce dernier, version francisée du célèbre CCC allemand, explique en effet pourquoi, au contraire des USA, de la Hollande ou encore de l'Allemagne, la scène underground française n'a pas constitué de véritable contre-pouvoir à même de résister aux tentations liberticides des politiques, et policiers, à l'encontre du Net. Créé à l'orée des années 90 par un certain Jean-Bernard Condat, le CCCF cherchait à réunir la fine fleur des hackers français. Sauf qu'il était rien moins qu'une émanation de la DST, qui cherchait là à s'infiltrer, et contrôler, le développement de la "scène". Condat est depuis surnommé le "Concombre", et aucun hacker français n'a depuis réussi, sinon cherché, à intervenir dans le débat public.

Ainsi, le groupe auquel appartenait Larsen, réputé être l'un des meilleurs dans le monde, a-t'il lui fait les frais des relations troubles qu'entretient la DST avec les hackers français. Car ce qu'a découvert Vincent depuis, c'est que Neuralien servait de tampon entre la "scène" et la DST, qui n'a eu de cesse, depuis le début des années 90, de "spotter" les plus émérites de l'élite de la scène afin que de les faire engager dans des sociétés de sécurité informatique dûment autorisées... et contrôlées. Ou comment de jeunes prodiges de 15-25 ans commencent leur carrière en entrant dans les petits papiers de la DST. A part Larsen, justement, qui, d'une part oeuvrait en matière de hacking radio, un domaine peu exploré, bien moins en tout cas que son pendant informatique, qui d'autre part ne cachait pas ses sympathies pour Action Directe ou encore le FLNC. Si ce n'est pas stricto sensu illégal, ça peut, à tout le moins, faire mauvais genre...

Reste que Larsen, dans le n°7 d'HVU, un "spécial police" paru en mars 1998, avait compilé un certain nombre de fréquences radio utilisées par la force océanique stratégique, l'armée de terre, la gendarmerie et la police nationale. S'il était conscient des risques encourus, il affirmait alors que l'état ne se gênait pas pour placer de simples citoyens sur écoutes, et qu'il n'y avait donc aucune raison de se gêner. D'autant qu'elles étaient pour la plupart obsolètes, et guère confidentielles, ne serait-ce qu'au vu de leur provenance : un manuel de la police dépourvu de toute mention de classification, mais, et surtout, des revues spécialisées allemandes et américaines qu'il avait légalement acheté en librairie... ce qu'en d'autres termes on appelle des "sources ouvertes".

Deux ans plus tard, néanmoins, Vincent est arrêté au petit matin par 7 agents de la DST, flingue au poing, et conduit devant le juge Thiel, de la section anti-terroriste du tribunal de Paris, qui l'inculpe d'" atteintes au secret de la défense nationale ". Il passera 59 jours à la prison de la Santé, classé DPS (Détenu Particulièrement Sensible), avant d'être placé en liberté provisoire. Un an et demi plus tard, son procès n'a toujours pas eu lieu. Vincent risque 5 ans de prison, et 500 000 F d'amendes. Pour avoir compilé, recopié et publié sur l'internet des fréquences radios librement consultables en librairie.

par Serge Corre.
Version originale d'un article paru dans le n° spécial underground de Nova Mag' en novembre 2001.